À l’occasion de son départ de la présidence, Jacques Lethuillier revient sur son parcours et ses années au sein du mouvement mutualiste. Dans dans cet entretien, il partage ses réflexions sur les enjeux majeurs pour le mouvement et dévoile ses projets personnels.
Vous vous apprêtez à quitter vos fonctions après près de deux décennies d’engagement mutualiste. Que ressentez-vous à l’heure de tourner cette page ?
Jacques Lethuillier. Je pense que j’ai bien rempli cette page. Ces deux décennies d’engagement, je les dois à ceux qui m’ont fait confiance, ceux qui ont dû me supporter, élus mutualistes et salariés. Sans tous je n’aurai pu mener à bien les missions qui m’ont été confiées. J’ai le sentiment d’avoir eu la chance de vivre une période riche de rencontres et d’évènements. La Mutualité m’a permis de m’engager pleinement pour concrétiser les valeurs auxquelles je crois, celles qui sont le ciment de notre société, notamment la solidarité.
Je pense que s’engager en Mutualité c’est avoir une conception de notre monde dans lequel l’essentiel est l’humain. Les mutuelles sont des sociétés de personnes et non de capitaux.
La proposition mutualiste à travers les complémentaires santé, les services mutualistes, les actions de prévention de l’union régionale constitue une réponse globale sur l’accès à la santé et pas seulement l’accès aux soins. Je ressens de la sérénité d’avoir pu, avec toutes celles et tous ceux que j’ai côtoyé, contribué à développer la Mutualité en Normandie.
Si vous deviez retenir un seul moment marquant de votre parcours au sein du mouvement mutualiste, lequel serait-ce ?
JL. Il est difficile de ne retenir qu’un seul moment marquant. Je garde en mémoire les élections des deux derniers Présidents de la FNMF, peut-être parce que j’avais pu militer à leurs côtés dans ma mutuelle. Je ne peux écarter les participations aux congrès et les rencontres avec les parlementaires.
Comment avez-vous vu évoluer la Mutualité au fil des années, à la fois sur le plan régional et national ?
JL. De la généralisation de la carte Vitale à la régionalisation des unions mutualistes, de plus de 1 000 mutuelles adhérentes à la FNMF avant 2000 à la PSC des fonctionnaires, ces dernières 25 années ont bouleversé notre paysage mutualiste. Les contraintes réglementaires appliquées aux mutuelles ont imposé les regroupements et les fusions. Le renouvellement des bénévoles et des militants souffre des mêmes difficultés que pour les associations.
Le mot « mutuelle » est vidé de son sens initial : tout le monde à une mutuelle pour sa santé et une assurance pour sa voiture et son logement, ce qui est erroné. La non-lucrativité des mutuelles, le fonctionnement démocratique ne sont plus aussi différenciants, notamment dans le choix des contrats de groupe par les entreprises ou les ministères. Si l’informatisation de la gestion des dossiers de l’assurance maladie et des mutuelles a simplifié la vie de tous, la perception du coût des dépenses de soins a elle disparu puisque le tiers payant a remplacé paiements directs et remboursements.
La défense de l’accès aux soins et de la solidarité est au cœur des combats mutualistes. Quels enjeux vous semblent aujourd’hui les plus urgents ?
JL. Effectivement l’accessibilité aux soins est une des préoccupations premières des Français : vais-je trouver une médecin ou un spécialiste ? à quelle distance ? à quel coût ? Les solutions de consultations à distance ne remplacent pas totalement le rendez-vous physique avec le professionnel de santé, notamment pour les personnes les plus éloignées des nouvelles technologies.
Autre enjeu d’importance en ce moment : la financiarisation des offres. Des groupes financiers achètent laboratoires, cliniques, centres de radiologie, accélèrent la concentration de ces structures et imposent des fonctionnements aux professionnels de santé basés sur de la rentabilité forcée. Cette évolution ne sera pas sans conséquence sur les tarifs demandé aux patients, ainsi qu’à l’assurance maladie et aux mutuelles. Rentabilité exacerbée et offre de services aux personnes ont montré leurs dérives pour les EHPAD et le secteur de la petite enfance…
Vous avez présidé l’Union territoriale de l’Eure, puis la Mutualité Française Normandie. Qu’est-ce que ces responsabilités vous ont appris sur l’engagement collectif et la gouvernance ?
Les conseils d’administration sont des lieux d’échange, de construction d’une réponse aux attentes des représentants des mutualistes, au bénéfice de tous les Normands car il ne faut pas oublier que, par notre volonté d’universalité, nous agissons pour l’ensemble de la population normande, que ce soit par des offres de service ou de matériels de qualité à tarif maitrisé ou dans le cadre des actions de prévention et de promotion de la santé.
La gouvernance d’une structure mutualiste, c’est élaborer un projet mutualiste, le mettre en œuvre et s’assurer de sa pérennité. Pour cela, être Président ne veut rien dire sans les administrateurs, les militants mutualistes, les salariés : l’engagement de tous est nécessaire, le collectif est l’essentiel.
À l’heure où vous passez le relais, quel message souhaitez-vous adresser à votre successeur et à l’ensemble des militants mutualistes ?
JL. Notre société évolue vite, les adaptations sont nécessaires. La solidarité a retrouvé une place lors de la crise de la Covid, elle doit redevenir la normalité. Nos valeurs n’ont qu’une possibilité pour perdurer : devenir et rester concrètes ! Par les actions de prévention, par les actions de solidarité, par les offres de soins et de service : Il n’est pas possible de séparer les activités mutualistes, elles ont complémentaires et toutes nécessaires à la croissance de la Mutualité.
Et pour la suite… Quels projets vous attendent une fois ce chapitre refermé ?
JL. Je continuerai à valoriser la Mutualité au sein du CESER*, de la CPAM**, du CTS***. J’ai été instituteur puis professeur des écoles pendant 23 ans avant de rejoindre professionnellement la MGEN. Il y a une cohérence évidente pour moi entre ces deux engagements : à partir de valeurs de solidarité, d’attention aux personnes en difficultés (scolaires ou de santé) il faut apporter des réponses concrètes pour une vie meilleure. Je reste un militant mutualiste humaniste actif !
- * CESER : Conseil économique, social et environnemental régional
- ** CPAM : Caisse primaire d’assurance maladie
- *** CTS : Conseil territorial de santé